Time After Time [Lestat]

Quand Mahna quitta la bibliothèque, le soleil était en train de se coucher et l'air était beaucoup moins lourd. Il prit une profonde inspiration et souffla doucement, laissant le stresse de la journée s'échapper dans sa respiration. Il retira sa casquette qu'il avait chaussé avant de quitter le bâtiment mais elle ne lui serait pas utile à cette heure-ci. Il profita du calme ambiant, fermant les yeux un instant. Il avait fui le Japon pour retrouver la sérénité. Il avait fui pour peut-être espéré vivre à nouveau mais il était tombé en enfer. A peine était-il arrivé que le directeur de cette académie l'avait presque violé. Pourquoi lui ? Et pourquoi ne l'avait-il pas repoussé durement ? Etait-il fou ? S'était-il laissé avoir ? Ou avait-il désiré ce qui était arrivé ?

Un grognement lui échappa alors qu'il rouvrait les yeux. Non. Il n'avait pas voulu cela. Seul Hiro avait le droit de le toucher et de l'embrasser. Oui ... mais Hiro n'était plus là .... D'autant plus que si tout cela lui déplaisait, il n'avait qu'à prendre ses affaires et fuir à nouveau, comme il savait si bien le faire. Mais il ne le faisait pas. C'était étrange comme sensation. Il avait l'inquiétante impression d'être retenu prisonnier ici. Il avait l'impression que franchir le portail était interdit, qu'il n'en avait pas le droit. Il avait l'impression que cet endroit serait le dernier où il vivrait et qu'il allait devoir s'en accommoder.

Mais allait-il pouvoir s'accommoder des fâcheuses tendances de monsieur Bathory à le toucher et à l'embrasser ? Même s'il se promettait de n'aimer qu'Hiro, il n'en restait pas moins un homme qui avait parfois des désirs et des besoins. Il n'était qu'un animal et il s'écoeurait lui-même de pouvoir se dire qu'il pourrait très bien répondre au désir du directeur. Que risquait-il ? Et puis, qui sait ? Peut-être que Bathory serait satisfait d'avoir obtenu ce qu'il souhaitait et qu'il lui ficherait la paix.

Il soupira et rangea la casquette dans sa besace avant de descendre les quelques marches du bâtiment. L'air était plus doux et il n'avait pas envie de gagner le dortoir pour le moment. Il avait besoin de se détendre et une petite promenade avant d'aller dîner ne pourrait que lui faire du bien et lui changer les idées. Son pas tranquille le dirigea vers les charmilles qu'il avait vu à son arrivée mais qu'il n'avait pas pris le temps d'explorer. Ses sourcils se défroncèrent, son regard se perdit un peu sur les arches et son pas se fit plus lent. Son esprit avait cessé de penser à Lestat et à l'enfer qu'était cet endroit. Il pouvait enfin profiter. Rien qu'un peu.

Quelle exaspération… Cela faisait peu de temps que la demeure avait ouvert ses portes à ce ramas sans envergure aucune, et Lestat n’avait qu’une envie : émigrer du pentagone pour s’en aller rejoindre sa mère patrie magyare, quelque part dans les hauteurs de Csejthe pour retrouver des racines immémorées. Si de violents tumultes lui soulevaient l’estomac à chaque instant passé en compagnie d’un non baptisé Bathory, il laissait l’impassibilité la plus religieuse inonder sa physionomie pour ne laisser paraître aucune émotion aux yeux du monde. Etre contraint d’ainsi embusquer l’essence de son satanisme était une marotte de tous les jours, mais devoir le faire dans l’enceinte de son propre domicile était un fait que l’incube avait bien du mal à admettre. Qu’importe, lui qui haïssait la routine, se retrouvait emporté par les sinuosités de l’imprévisible qui donnait lieu à des opportunités inopinées et parfois savoureuses. Positifs ou négatifs, les côtés de la situation actuelle ne manquaient pas de l’assaillir, mais jusqu’où supporterait-il les contraintes imposées par sa tante, qu’il avait accepté par pure sympathie pour elle ? Il l’ignorait, et là-haut penché à sa croisée sans vitre, il observait l’attroupement d’étudiants qu’avait récemment crée la sonnerie de fin de journée. L’astre diurne, alors installé sur son flanc ouest, voyait son antagoniste lunaire lui quémander sa suite, lorsque sa sombre toile lactée serait installée. La précarité de ses ultraviolets ne pouvait plus, à cette heure avancée, provoquer de souffrances à l’être du pandémonium qu’il était, en revanche, l’intensité de son crépuscule osait encore titiller la sensibilité de ses calots alors protégés de sa main en guise de lanière lorsqu’il le regardait. Il allait être temps pour lui de se hisser hors de ces murs, pour jouir pleinement des bienfaits de la nuit naissante.

Retiré dans les bas-fonds de son antre personnel, il se décida à la méditation pour entamer cette cavité journalière, et une fois sa chemise enfilée, il se mêla aux autres habitants voguant à leurs occupations. Son imposante présence dans les corridors dissuada quelques téméraires d’aller à l’encontre des horaires imposés par la vie en pensionnat, ou de transgresser des règles de bienséance sur quelle que lubie illicite que ce soit. Le rôle de patrouilleur n’était certes pas le sien, mais en tant que propriétaire du château et surtout représentant ultime de l’autorité dans le circuit administratif, imprégner les lieux de son ankylosante aura ne serait pas de trop. De plus, ne disposant sa confiance à quiconque si ce n’était lui, il ne serait mieux servi que par lui-même pour veiller à la sécurité de ses pensionnaires… Veiller à leur sécurité ou s’octroyer plus de droits qu’il n’en possédait ? Pour l’honnêteté, il n’avait que faire de leur préservation mais… Se devait de rester vigilant jusqu’à ce qu’Elizabeth ne lui ait révélé ses intentions. Cela ne voulait pour autant pas dire qu’il devait se prendre d’éréthisme pour eux, qu’ils soient humains ou vampires de lignée impure, fidèle à ses mœurs individualistes parsemées d’une outrecuidance exacerbée, il resterait le vampire las et inexorable qu’il avait toujours été. Sa réflexion guida ses pas jusqu’à la roseraie dont il lorgna les gracieusetés rosacées sans réel intérêt. Soudain, le zéphyr apporta une alléchante effluve jusqu’à son odorat, exhalaison qu’il était certain de reconnaître… Ainsi, il se laissa guider par son sens olfactif jusqu’à prendre une allée médiatrice, puis une autre, et parvint ainsi jusqu’aux magnifiques voûtes de verdure qui constituaient la charmille. Sous les lumières tamisées de celle-ci, une galbe masculine flânait sans inquiétude…

A n’en nul douter, c’était celle du nouveau bibliothécaire, arrivé il y avait peu et avec lequel il avait fait connaissance de manière… Particulière. Les réminiscences de leur entrevue tirèrent la commissure de ses lèvres en un fin rictus égayé, lorsqu’il se souvint du comportement versatile de l’humain. D’abord ce fut la résistance, rapidement remplacée par une lascive résignation qui l’avait frustré à un tel point qu’il fut presque prêt à le supplier de ne pas stopper ses avances. Mais avant de n’être qu’un divertissement charnel, le sang de cet individu était la principale curiosité de Lestat qui, enclin à dénicher de rares denrées, était un amateur de nouvelles découvertes bien que sa longue existence ne les lui permettait pas toujours. L’idée de marteler les nerfs de Mahna lui traversa l’esprit, alors, d’une foulée feutrée, il prit sa suite pour arriver sans un bruit derrière lui. Et pour annoncer sa compagnie, posa son index sur la cavité de l’échine du jeune homme, pour le remonter le long de son épine dorsale et déclarer d’une voix emmiellée.

« Agréable endroit pour une promenade, n’est ce pas, M. Newton ?… »

Une fois annoncé, le directeur ramena son doigt vers lui pour rompre le frêle contact qu’il avait établi, puis prit un moment pour examiner le quidam face à lui, avant de reprendre un air sérieux.

« Comment se passent vos premiers temps dans l’école, nos nombreux ouvrages ne vous peinent-ils pas trop dans votre tâche ? »

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